Là où il y avait un mur de béton, ça s'effrite

Code de déontologie La pression du marché des annonces rend les frontières entre l'édition et la rédaction de plus en plus poreuses - même pour la publicité.

La pression du marché des annonces rend les frontières entre maison d'édition et rédaction de plus en plus perméables - même pour la publicité. La NZZ ne connaît pas de partenariat avec les médias, le rédacteur en chef du Wallstreet-Journal ne fait jamais de publicité pour son journal. Dans la presse allemande de qualité aussi, on a parfois du mal. Mais dans la plupart des médias, c'est une pratique courante : lorsqu'il s'agit de faire de bonnes affaires avec de gros annonceurs, il est presque normal que la direction de la rédaction soit présente à la table des négociations. Il s'agit de la commercialisation des rédactions, où les annonceurs ne rencontrent que peu de résistance lorsqu'ils veulent placer leurs messages dans l'environnement rédactionnel (voir page 21). L'époque où les vendeurs d'annonces et les journalistes se rencontraient avec scepticisme est révolue, les premiers étant conscients que leur travail assure l'existence du journal, les seconds parce que l'indépendance journalistique est en soi supérieure à de sordides contraintes économiques. "Cette mentalité de jardinier n'est plus possible de nos jours", déclare Rico Brazerol, directeur de Contract Media Publishing AG (CMP). Selon lui, l'époque est à l'institutionnalisation de la collaboration entre la rédaction et la maison d'édition. "En tant que rédacteur en chef, il arrive que l'on rende visite à un client", affirme Brazerol avec franchise.
CMP avait été chargé par le Landbote d'une analyse, selon Brazerol, trois mois avant l'annonce du tirage falsifié de 10000 exemplaires, afin de sortir le journal traditionnel de Winterthour de la stagnation et (selon les dires) de la paralysie interne de la communication. L'intervention, qui porte la signature du président du conseil d'administration de CMP, Sacha Wigdorovits, ancien rédacteur en chef du Blick, qui avait notamment préparé le lancement de 20 Minuten, établit un relais interne pour rendre le Landboten plus attractif pour les annonceurs.
A l'avenir, l'édition et la rédaction se réuniront régulièrement pour planifier des suppléments, des partenariats médiatiques et des actions communes. "La rédaction et la maison d'édition doivent se soutenir mutuellement - dans l'acquisition de nouveaux lecteurs, mais aussi d'annonceurs", a récemment expliqué Denise Pernet, directrice de la maison d'édition du Landbote, à propos de la restructuration totale du journal qui aura lieu en septembre prochain (WW 26/05). Lors d'affaires importantes avec des clients clés, la direction de la rédaction sera toujours présente. "Je suis tout à fait conscient de la problématique", objecte Pernet à la question de la préservation de l'indépendance rédactionnelle. On veut encore la fixer en interne dans une charte contraignante.
Plate-forme pour les sponsorsCe qui se passe chez le Landbote lors d'une séance hebdomadaire régulière, fonctionne depuis longtemps ailleurs de manière tout à fait naturelle. "Chez nous, ces réunions sont la chose la plus normale du monde", explique Peter Buri, rédacteur en chef de l'Aargauer Zeitung. La rédaction en chef ne rend toutefois pas visite aux clients et n'est pas impliquée dans les négociations avec des comptes clés comme Media Markt, Migros ou Coop. Mais sous la pression de la diminution des annonces, l'Aargauer Zeitung a également dû faire preuve d'imagination et se met depuis le 1er juin au service d'un nombre croissant de sponsors avec le projet multimédia Alltag (WW 22/05).
Peter Hartmeier, rédacteur en chef du Tages-Anzeiger, reconnaît également l'existence d'accords entre la rédaction et l'éditeur. "Des discussions ont lieu en permanence avec des clients importants et des agences de publicité", mais les rabais ne sont pas le sujet. Les clients s'intéressent plutôt aux contenus journalistiques ou à la stratégie et à l'avenir du Tages-Anzeiger. Hartmeier n'a aucun souci à se faire pour l'indépendance journalistique du vaisseau amiral de Tamedia, l'entretien des contacts avec les clients est pour lui une évidence. "Quand je parle aujourd'hui avec des importateurs de voitures, nous parlons de la circulation" : l'allusion au boycott des annonces, vieux de 20 ans, de l'importateur de voitures Walter Frey contre le Tagi, autrefois taxé d'hostilité à l'égard des voitures, ne manque pas d'une certaine autodérision.
Mais on peut se demander jusqu'où ces contacts informels doivent aller, jusqu'où l'éditeur et la rédaction doivent se rapprocher au prix d'une possible dilution de l'agenda setting et de l'autonomie rédactionnelle ?
Plus de coordination souhaitée "La rédaction et l'éditeur devraient en général collaborer plus étroitement et définir ensemble leur public cible", déclare Pepe Wyss, directeur de la Freie Presse Holding, filiale de la NZZ, dont la maison mère place l'indépendance rédactionnelle au-dessus de tout et où les coopérations rédactionnelles et éditoriales se font strictement sur des pages spéciales ou dans des suppléments. Mais pour Wyss, il est clair que dans la presse écrite, les rédactions sont éclatées en différents départements et ont aujourd'hui besoin de plus de coordination. Cela permet tout d'abord de savoir qui traite quels sujets. Wyss estime également que de nouvelles formes, comme le projet quotidien de l'Aargauer-Zeitung, méritent d'être étudiées. "Il est tout à fait légitime pour les médias imprimés de chercher de nouvelles formes, à condition que l'on déclare clairement aux lecteurs ce que l'on veut". On peut douter que ce soit effectivement le cas.
Pour Josef Trappel, directeur de l'Institut des médias de l'Université de Zurich, la commercialisation des rédactions est un problème qui résulte surtout du lien avec les médias en ligne. "Sur Internet, la séparation entre la maison d'édition et la rédaction s'est fortement affaiblie, cette culture se répercute sur les produits imprimés".
Les rédactions sont trop peu critiques à l'égard de ce phénomène. Mais la commercialisation a aussi ses limites. Selon Trappel, les éditeurs se trouvent sur une corde raide : trop de commerce sape la crédibilité d'un média et détruit ainsi la confiance du public, ce qui entraîne finalement une chute des abonnements. "La crédibilité est notre bien le plus précieux, nous devons veiller à ne pas la perdre", abonde Peter Buri, chef de la rédaction de l'AZ.
Reste à savoir dans quelle mesure le projet quotidien contribue à renforcer la crédibilité de la rédaction. Buri fait davantage de publicité dans le secteur régional Kummer, lors du placement d'articles de RP en rapport avec l'ouverture de nouveaux magasins, un problème qu'il partage avec beaucoup de ses collègues de la presse quotidienne. Et en de nombreux endroits, c'est la prolifération des annonces sur les pages des journaux qui préoccupe une rédaction plus que son indépendance.
Ainsi, Peter Hartmeier n'apprécie pas vraiment les annonces colorées qui repoussent parfois le contenu rédactionnel du Tages-Anzeiger dans les marges de la page. "C'est inesthétique", dit-il en utilisant pour illustrer son propos un adjectif qu'il ne souhaite pas voir imprimé ici. "Sinon, j'en entendrai à nouveau parler par la maison d'édition".
René Worni

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