Le Matin devient plus maniable les jours ouvrables

Le mois de mai fait (presque) table rase du passé chez l'éditeur romand Edipresse

(Après de longues tergiversations, Edipresse ose faire le grand saut : à partir du 8 mai, Le Matin paraîtra en semaine au format tabloïd. L'édition du dimanche LeMatin-Dimanche deviendra partiellement autonome, mais conservera son ancien format.
Le journal de boulevard Le Matin, issu de l'ancienne Tribune de Lausanne, constitue un hybride singulier. En semaine, il se présente comme le journal du matin de la région linguistique avec un tirage de 66000 exemplaires, qui concurrence en partie les journaux d'Edipresse 24 Heures et Tribune de Genève. Le dimanche, en revanche, LeMatin-Dimanche est seul leader sur le marché romand. Son monopole n'a été que marginalement grignoté par le nouveau journal de Ringier, dimanche.ch. Son tirage dépasse les 220000 exemplaires le jour du Seigneur, ce qui lui permet d'atteindre une audience fabuleuse de 603000 lecteurs, sur un marché qui compte à peine plus du double d'habitants.
Le Matin n'a pas seulement deux âmes dans la poitrine, mais aussi deux bilans très différents. L'édition du dimanche est la véritable vache à lait de l'écurie Edipresse et devrait générer des bénéfices de plusieurs dizaines de millions. En semaine, en revanche, Le Matin se trouve sous la ligne de flottaison. Mais il n'est pas possible de le savoir avec précision, car Le Matin et LeMatin-Dimanche ne sont pas des centres de profit séparés et les coûts sont supportés en commun. Néanmoins, l'édition du dimanche subventionne en fait l'édition du jour ouvrable. C'est pourquoi les initiés romands des médias font régulièrement circuler la rumeur d'une suppression de l'édition du jour ouvrable. Mais Edipresse a toujours reculé devant cette mesure, persuadé qu'elle limiterait également la rentabilité de l'édition du dimanche.
Résistances au sein de la rédaction face au nouveau format
Toujours est-il qu'après avoir longtemps hésité, les dirigeants d'Edipresse ont finalement décidé de prendre un nouveau départ pour Le Matin. On savait depuis longtemps que le directeur de la maison d'édition Théo Bouchat souhaitait un passage au format tabloïd. Bien sûr, la décision finale a été constamment repoussée. En effet, le nouveau rédacteur en chef du Matin, Daniel Pillard, un homme d'action qui avait été attiré l'année dernière par la tête du magazine de Ringier L'Illustré, a dû faire face jusqu'à Noël à une véritable fronde de la rédaction, qui a failli lui coûter son cou et son emploi.
Manifestement, les anciens "habitués de Le Matin" craignaient une tabloïdisation radicale du journal. De plus, des processus de dynamique de groupe semblent avoir joué. Pillard vient, comme Bouchat et le rédacteur en chef de 24 Heures Jacques Poget, de Ringier. "Le prédécesseur de Bouchat, Jacques Pilet, en avait déjà fait l'expérience, puisqu'il avait été chassé après un bref passage à la tête de la maison d'édition Edipresse.
Mais la tempête est désormais passée. Comme le confirme le rédacteur en chef de Le Matin, M. Pillard, à WerbeWoche, il est certain que Le Matin paraîtra en format tabloïd à partir du 8 mai. Les détails de la nouvelle mise en page sont encore tenus secrets. Certes, plusieurs numéros zéro ont déjà été produits, mais on veut d'abord améliorer la mise au point avant d'informer les clients et les médias. Mais pour Pillard, la direction à suivre est claire : Le Matin doit devenir plus frais, plus insolent et plus urbain.
En outre, les recherches et les écrits devront être plus poussés à l'avenir. Le format réduit de moitié oblige en effet à une plus grande concentration et à une meilleure focalisation. A la question de savoir si la rédaction soutient désormais le nouveau concept, Pillard assure : "Certainement. Les conflits que nous avons eus ne portaient pas sur le concept, mais sur mes méthodes de management. Au fond, de nombreux rédacteurs ne voulaient pas d'un vrai chef, mais continuer à agir à leur guise".
Les journaux pour pendulaires sont-ils freinés ?
Le passage au format tabloïd équivaut donc à un coup de pouce qui devrait secouer aussi bien la rédaction que le monde extérieur. Mais Bouchat et Pillard ont sans doute aussi suivi de près les expériences faites avec les journaux pour pendulaires de Suisse alémanique.
Le nouveau format pratique doit permettre d'éviter que de tels concurrents n'entrent en scène. Reste à savoir comment les consommateurs romands de médias, plutôt conservateurs, vont réagir à cette petite révolution d'Edipresse. Après tout, le format tabloïd leur est déjà familier grâce aux hebdomadaires Coopération (Coop) et Construire (Migros).
En revanche, Edipresse ne veut rien savoir d'une révolution radicale le dimanche : Le Matin-Dimanche continue à paraître dans son format traditionnel. Mais le 13 mai, une nouvelle mise en page de l'édition du dimanche est annoncée. De plus, elle aura sa propre rédaction, qui sera dirigée dès avril par Michel Zendali.
Le "Pilet-Boy" (Zendali sur Zendali) est un journaliste politique qui n'a pas peur du boulevard et qui a gagné ses galons au Nouveau Quotidien et à L'Hebdo. A la tête de sa propre équipe, Zendali a la possibilité de donner au Matin-Dimanche une culture d'entreprise propre avec une identité d'hebdomadaire. Mais Zendali est placé sous les ordres de Pillard : La séparation entre l'édition du jour ouvrable et celle du dimanche va donc moins loin au Matin qu'au Blick/SonntagsBlick et au Tages-Anzeiger/SonntagsZeitung.
On le voit bien : S'il faut une révolution, Edipresse veut dimanche une révolution sans effusion de sang. La méfiance déjà légendaire du groupe Lamunière face à des changements trop radicaux est compréhensible : Le Matin-Dimanche a tellement de succès qu'on y réfléchit à deux fois avant de changer quelque chose.

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