La frontière étroite entre modestie et arrogance

L'éditorial d'Anne-Friederike Heinrich, rédactrice en chef de Werbewoche, paru dans l'édition 20/2016 du 2 décembre 2016. La modestie suisse est légendaire. Dans ce pays, on met volontiers sa lumière sous le boisseau, on accueille les louanges et les remerciements avec un "scho recht" honteux - mais on s'offusque ensuite si personne ne remarque à quel point on est bon. Et c'est effectivement le cas des Suisses. Mais [...]

editorial-ww

L'éditorial d'Anne-Friederike Heinrich, rédactrice en chef de Werbewoche, paru dans l'édition 20/2016 du 2 décembre 2016.

La modestie suisse est légendaire. Dans ce pays, on aime mettre sa lumière sous le boisseau, accepter les louanges et les remerciements avec un "c'est bien" honteux - mais on s'offusque ensuite si personne ne remarque à quel point on est bon. Et c'est effectivement ce que nous sommes, nous les Suisses. Mais faire de la publicité, du marketing pour nous-mêmes, juste un tout petit peu, nous n'aimons pas trop ça. Laissons les autres dire ce que nous faisons de bien. Mais comment les autres sont-ils informés de nos performances ?

La modestie et la mesquinerie suisses vont jusqu'à transformer une attaque cérébrale en "es Schlägli", ce que l'agence Freundliche Grüsse a repris avec un clin d'œil dans sa campagne de lancement pour Elvia au début de l'année : elle a fait d'une tôle froissée "es Blechschädeli" (Bit.ly/2guy7Rt) et d'une mauvaise rupture de tuyau "es Rohrbrüchli" (Bit.ly/2fx14YL) - avec la bonne assurance, bien sûr. C'était drôle. Toutefois, la modestie n'est pas toujours louable et drôle : si le "Je t'aime" se transforme en un "I han di gärn" chétif, la patience de la Suissesse issue de l'immigration s'envole, même si elle apprécie beaucoup le mode de vie et d'être suisse en général.

Je ne comprends pas non plus ce qui suit : De nombreux représentants d'agences se plaignent bruyamment des batailles de prix et des coûts élevés qui y sont liés. Ils soumettent néanmoins leurs travaux à des prix nationaux et internationaux, car il faut bien que "les autres" soient au courant de leurs performances (voir ci-dessus). Et lorsque la soumission est suivie d'éloges et de reconnaissance, ils replongent et laissent vide la scène sur laquelle le prix doit être décerné. C'est ce qui s'est passé récemment lors de l'Epica à Amsterdam, et c'est ce qui s'est passé lors de divers autres Awards dans le monde entier. Les Suisses vont chercher les prix, mais ne les récupèrent pas. Ils ne veulent pas perdre le prix, mais économiser le chemin.

Reste à savoir si la légendaire modestie suisse est à l'origine de ce comportement, si c'est le manque d'argent ou de temps, si c'est une panne d'agenda ou si c'est la naissance de la belle-mère au deuxième degré. Ce qui est sûr, c'est que : L'absence est de mauvais goût et constitue un affront pour le jury. Pourquoi Hugh Grant vient-il à Zurich pour recevoir le Golden Icon Award du Zürcher Film Festial alors qu'il a déjà vu plus grand ? Le style ? le style !

Il est dans la nature de l'homme de voir sa cause en premier et en dernier. Entre les deux, je veux ouvrir mon regard à la cause de l'autre, au moins le temps d'un éditorial. Oui, les gens dans les agences travaillent dur toute l'année. Oui, les dépôts de candidatures pour les prix sont également stressants et coûteux. Mais les jurys travaillent aussi longtemps et dur pour ne sélectionner que les meilleurs travaux. Ce ne sont pas des clubs de gadgets qui cochent n'importe où sans réfléchir, mais des équipes internationales de haut niveau qui essaient de récompenser une partie du dur travail des autres.

Les membres du jury consacrent beaucoup de temps libre ( !) à l'évaluation des travaux, à la discussion de leur jugement et à la formulation d'une évaluation solide et concluante pour tous. Moi-même et d'autres rédacteurs de Werbewoche sommes membres de plusieurs jurys internationaux ; un jury que nous avons nommé cherche et trouve chaque année depuis 1977 le publicitaire de l'année de Werbewoche. Nous savons donc très bien quel est l'effort à fournir de la part des personnes qui décernent les prix.

Si chacun d'entre nous réapprenait à considérer le travail de l'autre avec estime, les scènes importantes seraient moins vides - et la Suisse serait représentée plus dignement à l'extérieur. Si, en plus, des agences ont investi du temps et de l'argent pour pouvoir être présentes et savent à l'avance qu'elles pourront rentrer chez elles hautement décorées, un petit coup de pied au cul serait la chose la plus normale du monde. Tout le reste n'est pas seulement étrange, mais aussi sans style. Être considéré comme trop modeste peut encore passer. Être arrogant, non. Hop, la Suisse !

Anne-Friederike Heinrich, rédactrice en chef

f.heinrich@werbewoche.ch

Plus d'articles sur le sujet